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Dans les précédents chapitres, nous avons tenté de dégager le rôle de carrefour joué par la Bassée. Confluent de rivière, croisement de routes, notre région se révèle au cours des âges, plaque tournante des populations en marche, et de la civilisation. Centre commercial, pays de rayonnement de la chrétienté, ce n’est pourtant qu’à partir du XVème siècle surtout, qu’elle mariera vraiment le titre de carrefour de l’Histoire que nous lui avons décerné. Nous avons voulu jusqu’à présent, faire état des peuples qui ont croisé sur notre sol, et qui ont contribué à établir le fond de la population basséenne ; puis, nous avons précisé quelques détaile en marge de l’Histoire générale. Nous aborderont ensuite, la liste des personnes célèbres qui sont tour à tour passés au carrefour basséen. Mais avant de faire leur connaissance, nous voulons nous attarder encore un peu dans ce moyen âge, et mentionner quelque petits renseignements locaux. A propos des foires, d’abord, nous constaterons que les routes n’étaient pas toujours sures, et que les seigneurs féodaux du voisinage ne se comportaient pas, parfois, en personnage bien élevés, car René Housset nous rapporte : en 1148, le Comte de Champagne, un Thibault, venait souvent à Provins et à Bray où il avait un prévot. Les routes n’offraient aucune sécurité. Ceci du fait de vassaux indisciplinés, qui n’attaquaient point les marchands grégaires, mais qui détroussaient les isolés. Les archives nous ont conservé cette lettre que le Comte écrivit à Suger, abbé de Saint Denis, régent du royaume, en l’absence de Louis VII parti à la croisade. « A Suger, par la grâce de Dieu, abbé de Saint-Denis, mon cher ami Thibault, Comte de Blois, salut et assurance d’affection. Je vous informe que par une honteuse insulte au roi et à vous, gardien de la terre du roi, Salon, vicomte de Sens, m’a fait un tort matériel et une injure égale à la vôtre. Garin, fils de Salon, a fait arrêter sur un chemin du seigneur roi, entre Bray et Sens, des changeurs de Vézelay qui venaient à mes prochaines foires de Provins, et auxquels Salon et le prévot à Sens avaient, sous la foi du serment, garanti, au nom du roi, la sécurité de la route. Ce que Garin leur a pris vaut, disent-ils plus de 700 livres. Je vous mande, et vous prie, de manifester votre mécontentement de ce crime commis sur un chemin royal, et d’inviter énergiquement Salon à rendre ou à faire rendre sans retard, et sans prétexter aucune excuse, ce qui a été pris à ces changeurs. Car Salon est en votre pouvoir et ne peut vous résister plus que le moindre écuyer si vous avez une volonté bien décidée. Veuillez, par le retour du porteur, m’instruire de ce que vous aurez fait. Je ne puis souffrir que cette insulte reste impunie, car elle tend à la destruction de mes foires…. » L’an suivant, le même Thibault signalait encore à Suger d’autres rapines. Le coupable était Reynaud de Courtenay qui avait arrêté et pillé des marchands. On ne sait pas la suite qui fut donnée à ces requêtes. Un autre document, compulsé par De Compigny, semble intéresser d’avantage les foires de Bray : « Une chartre de Blanche, Comtesse de Troyes, datée de 1220, porte que Thibault de Provins, fils de feu Henri, chambellan et sa femme, ont donné à la Pommeraie, 4 livres de revenu sur les foires du mois de mai ». Dans la lettre précédemment citée, il est relaté que le roi est parti en croisade. C’est qu’en effet, un an plus tôt, Saint Bernard avait prêché la seconde croisade à Vézelay, et nombre de seigneurs de la région étaient partis en Palestine. La troisième croisade affecte encore d’avantage la Bassée. A l’aller, d’abord, avec le départ des seigneurs à la suite de Philippe-Auguste, auquel la tradition attribue la construction du château de Villeceaux ; puis au retour, en 1192, avec le massacre des Juifs à Bray. La quatrième croisade est organisée par le Baron de Bray, Thibault, comte de Champagne et de Brie. Enfin, les septième et huitième croisade (1248 et 1270) sont, elles aussi, organisées par le premier d’une nouvelle dynastie de baron de Bray : Louis IX, roi de France. Comme nous avons l’intention de voir de plus près les barons de Bray, et que le christianisme en Bassée sera également l’objet d’une étude spéciale, nous ne voulons pas nous attacher plus longtemps aux croisades pour le présent chapitre que nous terminerons en fournissant quelques renseignements sur des legs à l’abbaye de la Pommeraie par les seigneurs de la Bassée. En 1191, Henri, comte de Troyes, donne trois muids de froment et trois muids de tramois, sur le minage de Bray. En 1192, Etienne de Jaulnes, chevalier, fait donation d’un muid de grains de rente, moitié froment, moitié tramois, à prendre sur sa dime de Montigny. Ellebaud de Villenauxe, en 1220, fait une seconde donation à prendre à Montigny. En 1238, le couvent achète à Hugues de Douai, écuyer, et à sa femme Beatrix, tous leurs droits féodaux dans cette paroisse. L’année suivante, tout le territoire de Montigny, ou presque, dépend de la Pommeraie, car moyennant 90 livres tournois, les religieuses ont acheté, d’Henri, doyen de la Siante-Trinité de Trainel ; d’Anceau, son frère ; et de Guy de Vauregnier, chevalier, fils d’Anceau, toutes les terres, mises en ces partages et possédées par eux. En 1211, Etienne Herbert et Hier Pouloë donnent un muid de froment de rente sur la dime de Villuis. En 1223, Milon de Monguer, 40 sous de rente sur le tonlieu de Bray. Garnier de Jutigny, chevalier, par donation de 1203, permet aux religieuses de laver un muid de froment de rente sur le moulin neuf. Hordierne de Babil, en 1203, a une de ses filles qui prend l’habit monastique. Elle apporte à la Pommeraie la propriété d’une terre labourable, 7 minots d’orge, 4 pains et 4 poules de rente. Le chevalier Ellebaud de Villenauxe, en 1215, donne au couvent ses terres de Compigny lorsque sa fille se fait religieuse. Enfin pour clore sur une note plaisante, nous rapporterons une petite histoire relatée par De Compigny. C’est l’histoire de Renaud II, comte de Sens, et de Léothéric, archevêque, qui vivaient aux environs de 1015. Renaud était violent et cupide, il faisait de nombreuses tractations avec les Juifs, leur donnait son amitié. Aussi l’appelait-on le « Roi des Juifs ». Par contre, il détestait l’archevêque Léothéric . Quand ce dernier célébrait la messe et se tournait vers les assistants pour dire « Dominus vobiscum », Renaud se retournait aussi, et du grand scandale des fidèles, dit Arbois, il répondait à ce salut par le geste le plus inconvenant : « in posterioribus suis pacem ei offerbat… » . Il appelait cela offrir sa paix au prélat. Et mille autres avanies frappaient Léothéric. Renaud lui cracahit au visage, tuait les vassaux de l’église. Le chapitre de Sens et les seigneurs du voisinage estimèrent que ses vilenies devaient cesser. Une armée envoyée par le roi Robert, se joignit aux troupes de Léothéric. Elle fit le siège de Sens. Cette ville tomba au pouvoir des assiégeants le 22 avril 1015. Renaud s’enfuit à peu près nu. Son suzerain, Eudes, comte de Champagne, lui donna asile. Puis tous deux vinrent bâtir, près de l’Yonne, un château qui fut la cause originelle de la fondation de Montereau . |