Statu Quo
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Une meute de fanatique s'est emparée du pouvoir mais personne ne gouverne vraiment. les attaques se déchaînent pratiquement contre tout et contre tous. la noblesse d'abord, puis le clergé avec la suppression des ordres religieux, la saisie des biens, voire même la démolition d'édifices du culte. Tous les biens seigneuriaux et ecclésiastiques sont déclarés biens nationaux.

En 1791, on proclame l'abolition des corporations, des maîtrises et des jurandes; puis c'est l'interdiction des associations patronales et ouvrières. Suppression du droit de grève.

Enfin la constitution des tribunaux d'exception où les loups vont pouvoir se dévorer entre-eux, et supprimer toute personne déclarer suspecte. Le roi même n'y échappera pas et mourra sur l'échafaud le 21 janvier 1793.

Ce faisant, les révolutionnaires ne guillotinaient pas que le roi de France, mais du même coup le roi de Navarre, dont le peuple, deux siècles plus tard, criera encore vengeance.

Et cette même année, c'est toute l'Europe qui se coalise et entre en guerre contre la France, tandis que les provinces entières se soulèvent contre ce désordre général. La Bretagne, la Provence, et diverses villes contestent contre les responsables de cet ensemble de calamités.

Dans la baronnie de Bray, on demeure dans l'expectative. Evidemment il s'y trouve aussi quelques révolutionnaires, mais semble-t-il assez peu fanatiques. Les édiles Braytois sont restés relativement modérés, ayant plus le souci de leurs administrés que de la politique partisane, bien que quelques enragés se soient distingués, provoquant de fréquent changements de maires et responsables locaux.

Dans l'esprit de nombreux habitants, tant en ville qu'en campagne, on se considérait un peu comme dans un no man's land, en raison du statut spécial de la baronnie.

Il n'empêche que l'église de Bray devint le temple de la raison. Risible, n'est-ce-pas, de vouloir honorer la raison après avoir détruit tout ce qui pouvait être raisonnable dans tous les domaines de la vie courante, dans le travail et dans les institutions? Car dans la baronnie il y avait des écoles, des hôpitaux, du travail, du commerce, et un art de vivre, même avec de faibles moyens.

Ainsi, malgré la tourmente qui sévissait aux frontières de la petite principauté, au mois de janvier 1790 on avait installé douze réverbères. Puis, pour lutter contre le chômage engendré par les troubles extérieurs, on organisa un atelier de charité.

En 1791, le maire, Colmet-Daage établit un arrêté en trente-quatre articles concernant la marché aux grains. A la séance du Conseil du 2 janvier 1792, à Bray, on s'occupe de la formation de la garde nationale.

Des troubles s'étant produits le vendredi 23 mars sur le marché aux grains, les commandements de la garde et de la gendarmerie sont requis pour maintenir  de l'ordre. On prend des mesures nécessaires pour protéger les cultivateurs qui viendront au marché du 30. Pour le marché du 6 avril, on requiert quatre-vingt-dix hommes de la garde nationale. On est obligé de prendre les mêmes mesures durant tout le mois.

En France, la république est proclamée le 21 septembre 1792. Quelques jours après, Vigny, ancien maire de Bray et député à la Convention, dans le procès de Louis XVI, votait pour la détention et le bannissement jusqu'à la paix. Jean Nicolas Vigny, originaire de Commercy, était venu se fixer à Bray où il exerçait le métier de tailleur. Partisan de réformes utiles mais nullement révolutionnaires, en 1789, il se retrouvait maire de la ville. En 1791 il était élu député de la Convention.

Le 10 juin 1794, les lois de prairial réorganisent le tribunal révolutionnaire en instaurant la Grande Terreur. A Paris, la guillotine coupe les têtes sans interruption. Les condamnées arrivent par charetté. Nombreux sont ceux qui abandonnent la capitale pour se mettre en sécurité à l'étranger. L'Angleterre, l'Autriche, l'Allemagne et l'Espagne accueillent des Français de toutes conditions. Mais les frontières sont loin et difficiles à atteindre. Aussi certains se risquent à chercher refuge dans la baronnie de Bray qui semble jouir du statu quo.

Reçus et hébergés à Bray même, ou dans les villages, certains y ont laissé le souvenir de leur passage ou de leurs activités, comme par exemple, la famille Chassaigne qui fit souche à Mousseaux et qui est, dit-on, à l'origine de la culture maraîchère.

Nous citerons aussi Sophie Maillard qui se savait menacée car elle avait soustrait à la rage révolutionnaire une petite châsse contenant des reliques de Martyrs des catacombes, qui se trouvait dans l'église des Minimes de Paris. Cet acte de courage, mais surtout sa démonstration de piété, lui valut d'être condamnée à l'exil. Ce fait atteste donc formellement la neutralité du territoire de Bray-sur-Seine, et le statu quo concernant l'ancienne baronnie.

Quelques jours après le 9 brumaire an III, probablement le 19, l'assemblée municipale ordonne l'arrestation de Claude Colin et Pierre Soudrille, mariniers à Bray, lesquels, étant requis légalement, ont refusé de conduire à Paris sur leur bachot, un couplage de foin destiné aux subsistances militaires. Le 26, on met en état d'arrestation Petit Ainé et Jacques Sognot pour le même motif. Colin qui avait déjà antérieurement eu maille à partir avec les autorités, eut droit plus tard à la reconnaissance de son courage et la Ruelle Colin perpétue son souvenir.

Ces événements suffisent à démontrer que s'il y avait dans la baronnie des partisans de la révolution, il y avait aussi des éléments soucieux de maintenir la situation de paix inscrite dans la charte d'institution du territoire. Un autre personnage s'était également réfugié à Bray; il s'agit du seigneur de Fontenay-sous-Bois qui y demeura jusqu'à la fin de la tourmente révolutionnaire.

Cependant en France, les guerres ajoutent d'autres malheurs à ceux de la révolution, aucun gouvernement n'est stable ni viable. En 1797, le Directoire est institué, mais pour peu de temps, car dès le 9 octobre 1799 le Consulat le remplace et gouverne, et le 28 février 1800 le général Bonaparte est nommé Premier Consul. Son prestige militaire lui donne des possibilités que n'ont pas eu tous ceux qui l'on précédé. Doué du sens de l'organisation il rétablit l'ordre, et les esprits se calment. Il semble qu'une ère nouvelle commence.

Les émigrés reviennent en France. Sophie Maillard avant de quitter Bray, dépose en l'église Notre-Dame le précieux reliquaire qu'elle avait soustrait à la profanation des mécréants, en souvenir, et en remerciement du bon accueil qu'elle avait reçu.

Victor de Rochechouart, fils du dernier baron de Bray, avait suivi son père en Angleterre puis en Allemagne. Mis au courant de la nouvelle situation en France, il y revient en 1799 pour obtenir sa radiation de la liste des émigrés.

Le 18 mai 1804, le Premier Consul est proclamé empereur. Le sacre aura lieu le 2 décembre suivant, par le Pape Pie VII à Notre-Dame de Paris. En 1808, Napoléon Ier nomme Victor de Rochechouart, marquis de Mortemart. En 1809 il le fait chevalier de la Légion d'Honneur. Mais avant de poursuivre notre récit, nous voulons rappeler un événement curieux sur le plan de l'Histoire. Victor de Mortemart de Rochechouart, le 20 avril 1801, épousait Anné-Eléonore de Montmorency. Curieux ai-je écrit? N'est-ce pas singulier cette union du fils du dernier baron de Bray, avec une descendante du premier baron; Bouchard de Montmorency? Etrange coïncidence, présage? Espoir ou conclusion?

Napoléon approuve et utilise la départementalisation et ses conquêtes vont porter à 130 départements le territoire de l'Empire; de Hambourg à Biarritz et de Brest à Rome, auxquels il faut ajouter les protectorats de Suisse, Baden, Wurtemberg, et la Bavière. Plus fort que Charlemagne.

Evidemment, pour la baronnie de Bray le statu quo se trouve supprimé, et si Napoléon y jouit d'un certain crédit, une partie de la population regrette le temps passé et espère un retour à l'ancien régime. La liberté, ce n'est pas un mot, c'est un fait.

Le 22 avril 1809, une cinquième coalition passe à l'attaque; le 14 octobre après plusieurs défaites, et surtout Wagram, elle signe le traité de Vienne et cède à la France la Carniole, la haute Carinthie et une partie de la Croatie. Ajoutée à la Dalmatie et à l'Istrie, ces territoires forment les Provinces Illiriennes incorporées à l'Empire. Mais en 1812, l'entente franco-russe se dégrade. L'Autriche joue double jeu, et c'est la terrible campagne de Russie. Au mois d'octobre, le général Malet tente un coup d'état contre Napoléon. Il est fusillé.

En 1814, c'est la Campagne de France. Toute l'Europe déferle vers Paris. La vieille baronnie voit déferler tour à tour les troupes françaises, prussiennes, autrichiennes et russes. Le 2 avril le Sénat proclame la déchéance de l'empereur qui abdique à Fontainebleau. Le traité de Fontainebleau institue Napoléon souverain de l'île d'Elbe où il s'installe le 4 mai.

Le 3 mai, Louis XVIII est entré dans Paris. la France est ramenée à ses frontières de 1790.

Le Ier octobre s'ouvre le Congrès de Vienne où toutes les puissances d'Europe se réunissent pour réorganiser le continent. Talleyrand représente la France.

Napoléon Ier

Ainsi, au moment où nous écrivons ce texte, on compte parmi les descendants de la sœur du baron de Bray, le roi d'Espagne, le roi des Belges, le grand-duc héritier de Luxembourg, le prince de Naples, le duc de Brangance, le chef de la Maison Impériale du Brésil, le prince héritier de Yougoslavie, le duc de Wurttemberg, le roi Siméon des Bulgares, le chef de la Maison royale de Saxe, la Reine Anne de Roumanie.

Le congrès s'éternise. Il s'agit de rétablir les états et de délimiter les frontières. Il faut aussi ménager les intérêts des uns et des autres, et l'Angleterre n'a jamais été un partenaire facile.

Dans la baronnie, après avoir adulé l'empereur, on s'est tourné vers le roi dans l'espoir d'une éternelle liberté. Mais qui pourrait entrer en contact avec Talleyrand pour défendre les intérêts braytois?

En le temps passe, le Congrès se poursuit, quand le Ier mars 1815, Napoléon débarque à Golfe-Juan.

Napoléon Ier en habit d'Empereur des Français

Au cours des Cents-Jours il va tenter de restaurer son Empire. La défaite de Waterloo annihile tous ses espoirs. Le roi reprend son trône, et le congrès ses débats.

Résultat: le Comté souverain de Liège est attribué aux Pays-Bas, la Navarre et la baronnie de Bray restent à la France. A Vienne, on ne connaît pas le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.