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Durant les quatre premiers siècles de l’ère nouvelle, non seulement le christianisme se propage, mais il s’organise, s’inspirant très probablement de l’organisation religieuse hébraïque. Il se crée des lieux d’assemblée et de prières. Dans presque toutes les villes réside un évêque assisté d’un collège de prêtres. Les paroissiens, petites communautés, prennent naissance dans les campagnes, elles sont administrées par un prêtre envoyé par l’évêque le plus voisin. Parallèlement à l’administration civile, le diocèse correspond à la province ecclésiastique dont tous les évêques sont régis par un exarque ou patriarche. En conséquence, la région de Bray est du ressort du diocèse de Sens. Dans quelques bourgs on commence à construire des églises. Mais tandis que l’église s’enracine, l’empire romain doit se défendre contre les tentatives d’incursions des barbares. L’Europe centrale et orientale est devenue une concentration considérable et croissante de peuples divers en provenance du nord et de l’est. Il arrive de temps à autre que de petit groupe parviennent à s’infiltrer plus ou moins discrètement et à s’intégrer à la population en place. C’est ainsi que de nombreux Francs s’implantent en Belgique. Mais à l’est du Rhin et au nord du Danube, la surpopulation devient une force à laquelle les légions romaines ne sont plus en mesure de résister. Dès 418 les Wisigoths franchissent le Rhin et se dirigent vers le sud pour finalement s’installer en Aquitaine et en Espagne. Puis en 428, les Vandales à leur tout, après plusieurs tentatives, passent les frontières de l’Empire, empruntant les chemins des vallées et les routes romaines ; prennent également la direction du sud de l’Espagne et au nord de l’Afrique. Les Vandales sont décrits comme étant les plus barbares des barbares. Peuple nomade, ignorant la civilisation, ils pillent et ils saccagent sur leur passage. Ce sont des dévastateurs dont le nom, après avoir marqué l’Histoire, est passé dans le langage courant pour désigner tous ceux qui se livrent au brigandage et aux pires exactions. Il est probable que notre région ait eu à souffrir de leur passage. En 443 les Burgondes à leur tour, passent le Rhin et vont s’implanter dans les régions de la Saône et du Rhône. D’après Bouillet, les Burgondes sont le peuple le plus doux et le plus civilisé des barbares. Ce caractère leur permet de s’assimiler assez facilement à la population autochtone. Profitant de la faiblesse de l’armée romaine aux frontières nord, les Francs s’infiltrent en Gaule septentrionale vers l’an 447, et cette fois notre région est particulièrement concernée. Vers 410 une première incursion avait permis à un groupe de Sarmates de s’installer dans le régions entre Auxerre et Paris. L’arrivée de la masse de 447 trouve donc un terrain préparé par une « cinquième colonnes ». comme les romains, ces nouveaux venus se constituent des domaines et se fixent au sol. Ils subissent d’ailleurs à cet égard, l’influence de l’organisation implantée avant eux par les Celtes, puis par les Romains. Enfin, en 451, la dernière grande vague : les Huns. Au printemps de cette année là, alors que la nature commençait à s’épanouir et que les habitants de la Bassée se préparaient aux travaux des champs en vue des moissons futures, une rumeur passe comme un souffle de terreur sur la vallée : voilà les Huns. Nous empruntons pour ce chapitre de larges extraits de l’étude de Jean Amsler dont l’érudition est une sérieuse référence. Les historiens anciens ont exagéré souvent les chiffres qu’ils nous ont transmis, et beaucoup de moderne les ont recopiés servilement. Attila n’a eu ni un million d’hommes, ni un demi-million, ni même cent mille, nous admettrons qu’il en avait vingt cinq à trente mille et c’est énorme. Jules César, à la plus belle époque des armées romaines en avait à peine plus de quarante mille. L’armée d’Attila ne vivait pas sur le pays. Une armée ne vit jamais sur le pays à moins de cesser d’exister en tant qu’armée. C’est ce qui advint de la Grande Armée en Russie. Au contraire, une armée, si rustique soit-elle, est liée à ce que les anciens stratèges appellent en ligne d’opérations ; ou bien elle la fait suivre par convois. On ne voit pas bien comment Attila parti en janvier ou février de Hongrie, se serait fait suivre par des chariots jusqu’à Orléans, en un temps où la capacité de trait d’un cheval attelé n’excède pas quelques centaines de kilogrammes. Au contraire, Attila s’est contenté de suivre la ligne des dépots officiels où étaient engrangés les impôts en nature perçus en céréales. Au besoin, il a envoyé l’année précédente des émissaires munit de fonds en liquides pour stocker à l’avance. Bien entendu, les détachements isolés de reconnaissance et de couverture ont horriblement pressuré le pays, mais deux siècles d’expérience avaient déjà formé les habitants, enterrant leurs richesses, y compris les céréales. Ils décampaient avec leur bétail à la première rumeur de guerre et presque partout, l’offensive hunique a rencontré le vide. La conséquence de cet état de chose est simple : l’armée d’Attila, comme toute armée à cette époque de l’Histoire, est liée à la route joignant ses dépots de ravitaillement. L’évêque de Tongres, en Belgique, Servatius, alla en pèlerinage à Rome, et le ciel l’avertit que la Gaule serait livrée au roi des Huns… son nom en gothique, signifie « petit père ». ce dernier approchait alors de la cinquantaine et ses cheveux grisonnaient. C’était un homme trapu, bas sur pattes, au teint presque noir, au nez court, et au faciès mongol. Il affectait une grande simplicité de mœurs et rendait la justice avec sérénité. Humain avec les siens, il était impitoyable pour ses adversaires ; instable dans ses plans d’ailleurs et préoccupé de connaître l’avenir dans la sorcellerie. Les huns, à l’origine, étaient des chasseurs et éleveurs nomades des steppes transcaspiennes qui, petit à petit, sous l’impulsion d’une aristocratie d’origine mongole, s’étaient répandus sur l’Ukraine, puis la Hongrie. Une forte tradition de conquête les animait et sous une personnalité forte, ils pouvaient aller loin. Attila fut cette personnalité. Né de grande maison, il succéda vers 435 à son oncle sur le trône hunique qu’il partagea d’abord avec son frère Bléda qu’il fit assassiner. Il groupa autour de lui, par son prestige, un certain nombre de condottieri de toutes races et conçu le plan d’occuper tout l’empire romain. Il envoya simultanément à Valentinien III et à Théodoric des lettres à peu près semblables. « Je n’en veux qu’aux Romains » disait-t-il aux Goths et aux Romains, il disait le contraire. Puis il se mit en marche à partir de son quartier général habituel. Ce faisant, il sollicita l’alliance de Genséric, roi des Vandales, qui tenait l’Afrique du Nord, puis marchant vers l’Ouest, il ramassa divers contingents barbares amateurs de charcuterie gauloise et de monnaies romaines, franchit le Rhin vers Mayence, prit d’assaut Metz, entra en Champagne qui lui servit de place d’armes pour la suite des opérations. En même temps, des avant-gardes rapides harcelaient et pillaient le pays, tout le nord-est jusqu’à l’Oise et l’Escaut. Parti de Metz le 10 avril, Attila, aux premiers jours de Mai, par Reims, Chamons, Pont sur Seine, Sens, Sceaux, atteignait Orléans et y mettait le siège avec un contingent de quelque dix mille hommes peut-être, tandis que le reste était à la maraude dans toute la moitié est du bassin parisien. Paris est assiègé par les Huns, les Parisiens sont dans la crainte d’un assaut de l’ennemi, mais Geneviève leur assure qu’ils n’ont rien à craindre des Huns. Mais la nourriture commence à manquer. Geneviève rassemble des bateliers et remonte la Seine jusqu’à Mouy sur Seine où elle charge ses bateaux de blé et autres produits alimentaires. Quelques jours plus tard, elle accoste à Paris, qui grâce à elle est sauvé de la famine. Finalement les Huns abandonneront le siège. Orléans qui était la clé de la Gaule méridionale, avait alors un évêque nommé Anianus qui partit dans le midi réclamer du secours. L’Empereur délégua en Gaule son meilleur général : Aetius (l’Aigle). Après s’être fait longtemps désirés, les Wisigoths de Toulouse marchèrent à leur tour et quand, le 23 juin les Huns qui venaient de se faire ouvrir les portes, procédaient au déménagement de cette ville, l’avant-garde romaine les surprit et les mit en fuite. Attila manoeuvra en retraite sur son itinéraire d’aller et ramena ses troupes, par Sens, dans le région de Marigny le Chatel. Il est à remarquer que la ligne d’opération présentée par la voie romaine Augustobona-Genabum (Troyes-Orléans), n’était qu’un axe de marche et que les ailes de l’armée devaient se déployer assez largement sur la droite et sur la gauche. N’oublions pas non plus la possibilité pour les toupes huniques opérant dans la région de Paris d’emprunter la fameuse Voie Agrippa (Lyon-Boulogne sur Mer, passant par Jaulnes) pour rejoindre le gros de l’armée d’Attila. Celui-ci, talonné par Aetius, cherche un terrain favorable pour livré bataille ; il le trouve vers le 7 septembre, au centre d’un bassin aux bords peu élevé, drainé par un petit cours d’eau et où s’élevaient deux villes Mauriacum (Moirey) et Desideriacum (Dierrey). Ce site, au nord d’Estissac, est assez éloigné de notre région, d’où l’intérêt de cette évocation. Notons au passage que la terminaison « us » (de accus) est déjà transformée en « um » (acum), marque de l’évolution de la langue gallo-romaines qui sous l’influence des Francs, deviendra la langue romane. C’est à cette date du 7 septembre que fut martyrisé a Brollum (Saint Mesmin), le diacre Memorius, envoyé avec plusieurs compagnons par Saint Loup, évêque de Troyes, pour négocier avec Attila. Comme la délégation s’approchait, vétue de robes blanches, le cheval du roi aurait pris peur, jetant à terre son cavalier, qui furieux, aurait fait mettre à mort les envoyés. Cet acte n’est pas dans la manière du roi des Huns et ne pouvait que gâter ses rapports avec l’évêque dont il avait besoin comme médiateur, il doit vraisemblablement être attribué à quelque chef d’un parti errant de cavaliers en maraude. Toutefois, cette mention de date est précise : elle prouve qu’Attila était bien dans la région puisqu’on l’y cherchait. Attila établit son camp à Dierrey, à proximité des puits de cette localité, et y rencontre ceux de ses soldats qui n’ont pas préféré escorter les convois de butin ou gagner le large : quinze à vingt mille peut-être. Il oblige ainsi Aetius à un choix difficile. Ou bien, suivant la voie romaine Sens-Troyes, il défilera en colonne sous la menace d’une attaque de flanc, ou bien, il devra déployer en débouchant d’Estissac par un pont unique et découvert, le problème équivaut à un débarquement sur une presqu’ile. En effet, les vallées marécageuses de la Vanne et du Bétro forment un angle aigu où l’armée romaine dut pénétrer par la pointe. Aetius choisit de se déployer et de livrer bataille. L’armée romaine se déploie à partir de l’actuel passage à niveau d’Estissac. Deux voies s’ouvrent à la progression : la voie romaine et préromaine de Pons Belini (Pomblin) à Duodecim-Pontes (Pont sur Seine) et aussi la voie Charrière ; cette dernière qui commence par une voie étroite tranchée peu profonde à vingt mètres de la barrière du passage à niveau, se poursuit à travers champs en direction de Payns. Elle longe sensiblement la crête d’une longue colline en pente douce culminant en un plateau étroit et long à altitude de 240 mètres environ. Bien entendu un poste d’observation hunnique est étable sur cette colline nue que nous appellerons « côte Rouge » du nom qu’lle porte aujourd’hui, peut-être précisément à cause du souvenir de cette bataille. Cette avant-garde est attaquée en pleine nuit par un corps franc et même doublement franc, car il s’agit bel et bien des Francs de Mérovée. Cependant les deux armées campent sous les armes : Attila et les siens à l’abri d’un rempart de chariots, les réguliers romains dans un camp classique, Goths et Francs couchés par terre près des feux de bivouac. Au matin du 9 septembre, à ce qu’on présume, Attila ne semblait pas décidé à faire mouvement. L’armée romano-gothique en conclut qu’il fallait livrer bataille et entreprit de se déployer en face au nord à partir d’Estissac. Cette manœuvre délicate, protégée par une avant-garde déjà établie sur Côte Rouge, fut certainement observée par les Huns , mais se déroula avec lenteur. Aetius avait placé à l’aile droite les Wisigoths du vieux roi Théodoric, commandés en faite par son fils Thorismond. Des Francs, il ne sera plus question. Lorsque les Goths arrivèrent sur le plateau de Côte Rouge, ils aperçurent, grimpant le versant nord, une avant –garde Ostrogothiques : Attila, voyant executer la manœuvre adverse avait à dessein opposé des Goths à d’autres Goths. Mais il était déjà trois heures de l’après-midi quand les deux ailes marchantes se trouvèrent face à face. Attila prudent et prévoyant la défaite ne voulait pas laisser aux Romains le temps matériel de la transformer en déroute. Aussi, avait-il pris le soin de s’établir au centre du dispositif parmi les troupes d’élite, lzissant à d’autres auxiliaires l’aile droite, la moins exposée, puisqu’elle s’appuyait au Buziau, ruisseau à sec, mais difficile à franchir en bon ordre. Devant lui, il n’avait que le corps des Alains, commandée par Sangiban, notoire représentant de sa cinquième colonne en Gaule. Aetius avait placé au centre ces auxiliaires Alains, parce que, note Jornandès avec quelques cynisme, « quand on ne peut s’enfuir, on s’accommode volontiers de combattre ». Le général romain s’était réservé l’aile gauche, dans la plaine de Moirey, le long du Bétro, qu’il garnissait avec des troupes plus manœuvrières et plus solides, exercées à la romaine. Cependant, les Wisigoths animés d’une haine frénétique, se lancent au-devant de leurs cousins les Ostrogoths que grâce à la pente, ils culbutent. L’aile gauche hunnique commence à flotter. Un temps d’arrêt se produits. Attila réunit son état-major, puis le centre hunnique s’ébranle, les Alains enfoncés comme prévu et la mélée devient générale. A l’aile gauche hunnique, les auxiliaires taillés en pièces par les Wisigoths ne parviennent pas à se regrouper et l’aile droite adverses, les mains libres, se rabat sur le centre où est Attila. Un mouvement semblable est exécuter par Aetius et Attila, pris en tenaille, donne le signal de la retraite au moment où la nuit commence à tomber. Des engagements confus se poursuivent dans l’obscurité grandissante. Le bouillant Thorismond avec une poignée de braves, entre par mégarde dans le camp d’Attila ; blessé, il se dégage à grand peine tandis que son père Théodoric, atteint par le javelot d’un Ostrogoth nommé Andagis,tombe d cheval et meurt. Cependant, Aetius le seul dont le corps d’armée ait conservé sa formation régulière, fait bivouaquer ses hommes sur place ; tous vont se désaltérer dans les mares du Bréto que colore le sang des morts et des blessés. Aetius parcourt à tatons le champ de bataille, n’y rencontre de vivants que les Wisigoths épars, occupés à achever les blessés adverses et à dépouiller tous les morts. Jean AMSLER conclut : « une drôle de bataille, tous compte fait, et engagée sous d’étranges auspices par une armée : celle d’Attila, évidemment persuadé d’avance qu’il va à la défaite et livrée à une armée, la romaine, dont une partie ne pense qu’à se venger des Ostrogoths, la seconde à détaler, tandis que le général en chef espére pouvoir se débarasser, non seulement de son adversaire, mais de ses alliés ». On traite avec Attila qui verse dix mille sous d’or dont Aetius paie son armée. En tandis que les Wisigoths s’en retournent à Toulouse, le roi des Huns en passant à Troyes prend l’évâque Saint Loup pour sauf-conduit, et ne le relachera qu’à la frontière. Les Francs, revenus une fois le danger passé, vont poursuivre les Huns outre Rhin pour aller se payer sur la bête. Quant à Aetius, sa victoire cause sa perte, l’Empereur Valentinien III, effrayé de sa gloire et de sa puissance l’assassina de sa propre main en 454. Enfin, en souvenir de la venue de Geneviève à Mouy, la première église du village construite à l’emplacement du port lui fut dédiée, de même que celle construite vers 1620 pour le nouveau bourg.
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